P. Ramzi jreige cm.

«Le Regard de Jésus»

(Causerie donnée en arabe en style parlé par le P. Ramzi JREIGE c.m. au Bureau Pédagogique et aux Responsables de Cycles des établissements scolaires des Filles de la Charité, le 10 Décembre 2016.)

 

INTRODUCTION

Dans la foi chrétienne, on appelle « spirituel » tout ce qui est relié à l’Esprit-Saint.et non point le « non corporel ». En effet, s’il n’y a pas un corps, une vie, un évènement, une expérience, il n’y a pas de spirituel ; sinon, qu’est-ce qui serait relié à l’Esprit-Saint ? Aussi, notre rencontre aujourd’hui doit être reliée à notre vie quotidienne.

Dans l’Ancien Testament nous voyons Dieu parler à son peuple dans la vie de tous les jours. A un moment donné de son histoire, ce peuple réclamait un roi, Dieu lui donna Saül. Mais Saül s’est gonflé d’orgueil et à un certain moment a accompli des actes contre la loi de Yahvé. Dieu décida de choisir un autre roi pour Israël. Il appela Samuel et lui dit : « Va chez Jessé car j’ai choisi un de ses fils pour être le roi de mon peuple Israël ». Dans le contexte de ce temps le roi devait avoir une grande stature, surtout être très fort physiquement. Samuel appréhendait sa mission qui consistait à oindre un nouveau roi alors qu’il y en avait déjà un sur le trône.
Il partit chez Jessé et quand toute la famille s’est mise à table pour dîner, il demanda à Jessé de lui présenter ses fils pour que l’un d’entre eux soit oint par Yahvé comme roi. L’aîné était grand de taille, un bel homme et avait une forte corpulence. Samuel pensa que c’est sûrement lui le roi choisi. Mais Yahvé lui dit : « Ne regarde pas l’aspect extérieur parce que Dieu regarde plutôt le cœur de l’homme ». Quand Jessé eut présenté les 7 fils et qu’aucun n’a été choisi, il s’est rappelé qu’il y avait encore le benjamin, David, petit de taille, chétif qui gardait le troupeau : et c’est justement lui que Dieu a choisi, parce que Dieu cherche avant tout le cœur.
Qu’est-ce que le cœur ?
Par « le cœur » on désigne d’abord le muscle qui pompe le sang dans le corps. Mais dans le langage biblique le cœur désigne une chose qui va au-delà de l’organe physique. C’est l’essence-même de l’homme. Dans la Bible, Ancien et Nouveau Testament, le centre des sentiments est plutôt dans les reins. Par contre, le cœur, c’est le centre vital de l’homme. Jésus parle des « intentions du cœur ». Le pape Benoit XVI dit que le cœur est le centre de la personnalité. C’est là où toute notre vie, nos projets, nos actes aboutissent et d’où tout jaillit ; Là où l’homme se voit une unité, où il découvre le secret de son existence, le cœur de son être. Le cœur, c’est là où l’homme se pose les questions existentielles, primordiales et met de côté les secondaires. Quand j’enlève tous les détails qui constituent ma personne (grand, intelligent, beau, laid etc…) apparaissent les questionnements : Pourquoi suis-je né ? D’où je viens ? Où je vais ? Suis-je né par hasard, quelqu’un a pensé à moi ? Suis-je un projet, une partie de cet univers ? Qui a créé cet univers ? Y a-t-il quelqu’un qui m’attend ? En vieillissant, vais-je avoir le cancer ? L’Alzheimer ? Mes enfants vont-ils ne plus s’occuper de moi ? Qu’y a-t-il après cette vie ? Et la question qui secoue le plus : Qu’est-ce qui restera de moi dans ce monde ? Qui va se souvenir de moi ? Nous savons bien que l’homme « meurt » aussi, quand plus personne ne se souvient de lui. C’est pour cela que souvent nous ne pouvons pas rester sans communiquer avec quelqu’un, par les réseaux sociaux ou autres, parce que nous avons peur qu’on nous oublie, qu’on ne pense plus à nous, qu’on fasse des projets en-dehors de nous …
D’ailleurs, le plus grand complexe qui existe chez une personne c’est quand les parents lui disent : « Toi tu n’étais pas désiré… tu es venu par accident, on n’avait pas fait ton compte dans la famille…» ou bien « on attendait un garçon et tu es venue ! ».
Toutes ces questions existentielles qui jaillissent du cœur montrent que l’homme est un être fragile qui a besoin que quelqu’un lui donne une réponse, qu’il lui dise « moi je te veux, j’ai besoin de toi, tu comptes pour moi». Dans le domaine professionnel, nous passons souvent notre temps à convaincre le patron que nous sommes indispensables, qu’il a besoin de nous. Car si nous ne nous valorisons pas nous-mêmes, nous pensons que nous sommes un être sans consistance, sans valeur.
Quand Descartes a dit « je pense, donc je suis », il a détruit l’humain en le confondant avec la pensée… La conséquence, c’est qu’aujourd’hui, on se permet de tuer le fœtus, de pratiquer l’euthanasie, de licencier un employé en lui disant qu’il n’est plus efficient ni producteur. Tout cela vient de cette mentalité que l’homme doit se faire par lui-même car il est sa pensée. Mais en final, si je ne trouve pas quelqu’un qui m’aime, qui se penche sur moi dans ma faiblesse, je ne suis rien. L’enfant ne grandit pas avec le lait seulement, il grandit surtout grâce à l’affection qu’on lui donne dès sa conception. L’être quand il passe de l’enfance à l’adolescence, à la maturité, à la vieillesse et à la vie éternelle, s’il n’est pas aimé, il vivra très mal ces passages : il a toujours besoin que quelqu’un l’aime.
« Dieu regarde le cœur » ne veut pas dire que Dieu choisit nos bonnes actions. Pensons à David qui a tué Urie parce qu’il est tombé amoureux de sa femme qui a conçu un enfant de lui… et malgré cela, Dieu le choisit et en fait un grand roi malgré ses péchés, lui, le petit de taille qui a vaincu Goliath le géant, non par une arme puissante mais avec sa fronde parce que Yahvé était avec lui.
« Dieu considère le cœur » veut dire que Dieu regarde « blessure » de l’homme qui a besoin d’être guérie. Il se penche sur la faiblesse de l’homme pour le « fortifier » et Il considère la soif de notre existence qui a besoin d’être désaltérée par son Amour Eternel.
Le regard de Jésus sur le jeune homme riche dans l’Evangile de Marc 10 : 17 – 22
Il y a deux manières de lire et de comprendre un texte. D’abord la lecture superficielle, ou cette façon de voir l’homme par ses actions et non par ce que le Seigneur peut faire de lui. Or, si Dieu regarde le cœur, il ne regarde pas le bien qui s’y trouve, Il regarde plutôt notre besoin de LUI, notre « vide pour le remplir ». Si nous faisons la « radiographie » de la personnalité de ce jeune homme, nous aurons : un jeune, riche, ayant un statut social important, vivant les commandements, reconnu socialement comme honnête… Mais il n’est pas satisfait, il cherche la vie, il cherche Quelqu’un qui comble son cœur… Jésus le regarda et l’aima non parce qu’il était honnête ou juste. Le Christ a regardé en lui son cœur fragile, desséché, la pauvreté existentielle qu’il vit.
Jésus a commencé par interpeller le jeune homme : pourquoi m’appelles-tu juste ? Il voulait dire au jeune homme : Si tu cherches à être juste, parfait par tes actions, par tes efforts, ce n’est pas la bonne voie, il n’y a que Dieu qui peut l’être par lui-même. Donc, il faut que tu changes de mentalité. Il faut que tu trouves quelqu’un qui t’aide à devenir juste, en fin de compte, à avoir la Vie, à ETRE.
Jésus lui dit : tu connais les commandements, et Il continue à les lui réciter sauf les 3 premiers qui concernent la relation de l’homme avec Dieu.
Je ne peux pas rencontrer Dieu s’Il ne vient pas à moi. Ceux qui ne croient pas en Dieu, c’est qu’ils n’ont pas su qu’Il est venu ou qu’ils l’ont refusé. Nous les Chrétiens, parfois nous ne sommes pas conscients que DIEU est venu chez nous. Et pourtant c’est l’Essence de Noël et de notre vie chrétienne : Si Dieu n’était pas venu chez l’homme, celui-ci n’aurait jamais pu L’atteindre !
Donc, quand Jésus a regardé ce jeune homme riche et l’a aimé, il a senti qu’il avait des questionnements existentiels, qu’il était en recherche de quelqu’un qui lui donnerait le vrai bonheur qu’il ne trouve pas parce qu’il essaie de faire son bonheur par lui-même. Jésus a découvert que ce jeune était en échec parce qu’il essayait de « construire » son bonheur sur sa richesse, son statut social, sa jeunesse, sa force et sa bonne réputation. Il l’a regardé et l’a aimé parce qu’Il a découvert en lui quelqu’un qui pourrait être prêt à accueillir l’amour de Dieu et être comblé éternellement.
Le Christ dit au jeune homme 5 verbes qui expriment la conversion, la métanoia, le « changement de route », de mentalité.
– « VA ». Il le renvoie à son cœur, là où il l’a vu, là où Il l’a regardé. Le regard de Jésus qui rentre et vise le cœur, ouvre mon chemin pour que j’arrive à Lui.
– « VENDS TOUT CE QUE TU AS ». Découvre que tout ceci n’est pas à toi. Il fallait qu’il vende tout, même son honnêteté qu’il s’est fabriquée lui-même. Ton bureau de responsable de cycle n’est pas à toi, dans quelques années il y aura une autre à ta place. Gebrana bien dit : « Vos enfants ne sont pas à vous », dans peu de temps, ils ne seront plus près de vous. Vends, c’est-à-dire, détache-toi, sépare-toi, ne t’attache pas à ces détails qui ne sont pas toi. Toi, tu n’ES pas ta beauté, ton argent, ton statut social, ta famille, tes enfants. La maman étouffe ses enfants quand elle se considère UN avec eux, sans couper le cordon ombilical. Vos élèves ne sont pas à vous. « Vends », ce n’est pas dans le sens de faire un sacrifice, mais de se détacher, de couper le cordon ombilical.
– « DONNE-LE AUX PAUVRES ». Parce que le pauvre c’est la seule personne à qui tu donnes et qui ne te le rend pas. Et même le pauvre ne devrait pas savoir que c’est moi qui l’ai aidé, pour que son merci ne me gonfle pas d’orgueil ! Le Christ nous a dit que ce n’est pas ce merci qui remplira notre vie. Donne aux pauvres pour que tu puisses n’attendre de retour que de ta relation à Dieu.
-« PUIS REVIENS ». Pour que l’homme rencontre Dieu, il doit poser un « acte de retour », une rencontre avec Jésus qui devient un « suivre » qui constitue la rencontre avec Dieu.
– et « SUIS-MOI ». Dans l’évangile, quand l’aveugle-né a commencé à voir, il a tout quitté et a suivi Jésus sur la route, il ne voyait plus que Jésus. Suivre Jésus, c’est ne plus voir que Lui dans notre vie comme un homme amoureux d’une femme et qui ne voit plus qu’elle. C’est réaliser qu’il n’y a plus que LUI qui habite le fond de notre cœur.
« Va » retour à soi, « vends » coupe, détache-toi, fais une opération interne et dis-toi, je ne SUIS pas mon travail, mon argent, ma beauté…Parfois, je dois même « me détacher » de mon corps. Les martyrs en Irak et en Syrie se sont détachés de leur corps pour l’amour du Christ ; la maman qui accepte d’avoir 4 enfants même si elle peut être déformée physiquement, se détache de son corps pour l’amour de la famille ; celle qui vieillit dans l’enseignement, se détache de son corps… Si Jésus me demande de couper ce cordon ombilical, ceci ne veut pas dire que je vais vivre sans argent ni que je ne vais pas m’occuper d’embellir mon aspect physique… Mais si toi, enseignante, tu vois qu’il y a un élève qui a un retard mental et si tu n’as pas le zèle de l’aider en-dehors des cours sans demander de contrepartie financière, à quoi sert ta profession et les études que tu as faites ?
Jésus me demande de couper mon attachement existentiel aux choses pour que j’arrive à un moment donné à réaliser qu’il n’y a que l’amour de Dieu pour moi qui restera éternellement. Ma valeur vient de Lui qui a toujours pensé à moi. Le complexe de l’homme ne se résout que s’il réalise que depuis l’éternité, Dieu a pensé à lui, l’a voulu et l’attend à la fin de sa vie. Et aujourd’hui, avec SON amour, il est capable de donner sens à sa vie. Aujourd’hui, une maman qui perd son enfant, un enfant qui perd sa maman, une femme qui perd son mari, qui va remplir leur vie ? Ce sont des évènements qui suscitent la conversion et qui nous font prendre conscience que la faiblesse de l’homme, sa fragilité aux yeux de Dieu ne sont pas de mauvaises choses. Même les péchés de l’homme, Dieu les regarde comme le manque de notre cœur que nous voulons assouvir à n’importe quel prix ! La personne qui commet l’adultère, le voleur, l’assassin, sont ceux qui ont soif d’amour et qui sont entrain de se le procurer par un mauvais comportement. Même à l’intérieur de nos péchés, Dieu nous regarde avec miséricorde et nous aime parce qu’il sait qu’il n’y a que SON amour qui peut remplir notre cœur. Il regarde notre faiblesse pour la transformer en force, la pauvreté existentielle en richesse et notre mort en vie !

 

(Transcription et traduction : Sr Marcelle KARAM, Fille de la Charité)

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